Voici une pratique sportive encore largement méconnue en Occident mais certainement plus pour très longtemps : le sepak takraw. Il s’agit en fait d’un véritable « sport national » – et surtout populaire – dans plusieurs pays d’Asie du Sud-Est, notamment en Thaïlande, au Laos et en Malaisie. Se déroulant en général sur un terrain de badminton (autre sport très prisé dans la région), la partie oppose deux équipes de trois joueurs qui se renvoient la balle avec le pied ou la tête, bref de quoi attirer sinon fasciner tous les nombreux adeptes de technique footballistique !
Petite description et rappel historique
Le terme « sepak », utilisé en Asie, signifie « coup de pied », tandis que le terme « takraw » signifie « balle tressée ». Convivial et bon marché, ce qui en fait un sport « loisir » extrêmement populaire pour les populations rurales du sud-est asiatique, le jeu consiste à faire passer une balle au-dessus d'un filet, en utilisant toutes les parties du corps, excepté les bras et les mains. Finesse et tactique indispensables ! Par conséquent, ce sport tient du jeu d'équipe en volley-ball et de la dextérité en football, avec un bon zeste de souplesse qui frise l’acrobatie ! Le sepak takraw est donc avant tout un jeu d’équipe avec l’esprit qui va avec.
Au Laos, le « sepak takraw » – dont la terminologie est d’origine malaise – est connu sous l’appellation « kataw » (ou « kator ») ; en Birmanie, il est connu sous le nom de « chinlon » ; aux Philippines, il est dénommé « sipa » ; en Thaïlande et en Malaisie, et dans maints endroits de l’archipel indonésien, il est simplement appelé « takraw » (et parfois encore « sepak raga » en Malaisie, ou « rago » dans certaines parties de l’Indonésie). En Occident, on lui attribue parfois le nom de « kick volley-ball », ce qui est certes très imagée comme expression mais pas très éclairant de bon sens ! Désormais, le terme courant et générique, en Asie comme ailleurs, est takraw.
Tournoi de sepak takraw à Thaton, au nord de la Thaïlande. Avec les Malaisiens, les Thaïlandais font partie des joueurs les plus friands de ce jeu de balle, d’ailleurs aussi social et sportif.
Une petite balle – tressée ou en plastique – qui intrigue ceux qui se laissent tenter par le jeu… Ici chez les Mentawai de l’île de Siberut où le sepak takraw n’est pourtant guère pratiqué ! Au musée de Padang (Sumatra Ouest), on pouvait voir – sans aucune logique – une photo de joueurs et une balle de takraw dans une vitrine de la section consacrée à la culture mentawai… C’était en 2000, et dix années plus tard (photo de droite), la section muséographique des Mentawai a été revue et corrigée, améliorée surtout, et puis débarrassée de cette petite balle qui ne répond pas du tout aux coutumes autochtones.
Le sepak takraw est un sport d'origine asiatique qui a fortement évolué au fil du temps. Sans doute déjà millénaire, on ne connaît pourtant pas l'origine exacte de ce sport. Seulement quelques repères : au XIe siècle déjà, le sepak takraw était énormément joué dans les pays du sud-est asiatique. Traditionnellement, les villageois formaient un cercle et devaient garder la balle en l'air aussi longtemps que possible. Il était alors appelé sepak raga (il se jouait en cercle) et dans les cours royales malaises – celles de Malacca, du XVe siècle, en particulier – on s’y adonnait semble-t-il fort souvent. Logiquement, le sepak takraw représente ainsi une forme évoluée et toujours actuelle du sepak raga d’autrefois. D’ailleurs, aujourd'hui ce jeu en cercle reste très populaire dans cette partie du monde et s'est surtout développé en tant que « sport pour tous ». Disposés en cercle, avec 5 ou 6 « takrawbates » (mot inventé… désignant les adeptes du takraw et non moins d’acrobatie !) touchant chacun son tour la balle et jonglant parfois avec, il m’est souvent arrivé de jouer au sepak raga en pays Toraja (Sulawesi-Sud, Indonésie) avec les villageois avec lesquels je partageais de nombreux moments de détente. Et d’échanges de balle.
L'esprit de communauté, valeur importante pour les Asiatiques, se manifeste dans ces échanges. Des échanges propices non pas à des prises de bec mais avant tout à un « jeu sportif », deux termes non pas antagonistes et qui ici peuvent fort bien s’accommoder l’un de l’autre. La compétition, dans les villages où le jeu continue à se pratiquer, n’est pas la priorité, celle-ci revient au plaisir d’être ensemble et de jouer collectivement. Le takraw est une pratique de vivre-ensemble autant qu’une expression de bien-être. Dans ce jeu, chacun a besoin de son voisin et de l’autre pour avancer et « gagner », la convivialité s’accompagne donc aussi d’une bonne dose de solidarité, ce qui ne fait jamais de mal…
Au nord de la Thaïlande, deux exemples de terrains de jeu : l’un à Ban Kok Mak, juste à côté du Mékong, fleuve-frontière avec le Laos, et l’autre au cœur d’un monastère bouddhiste à Mae Sariang, à la frontière birmane. Un jeu pour tous, sans frontières politico-culturelles, incontestablement…
Après le cercle convivial est venu le temps des deux camps, une configuration (et une confrontation) plus pratique pour former des équipes et compter les points ! C'est en effet au XIXe siècle qu'apparaît un filet, il est placé dans la largeur du terrain et délimite celui-ci en deux surfaces de même longueur. Il fallut attendre 1965 pour voir ce sport se structurer véritablement avec la création d'une fédération : l'Asian Sepak Takraw Federation (SATAF), qui lui donne le nom officiel de sepak takraw, et définit des règles de jeu précises. Bien plus tard, en 1996, est créé l'ISTAF (International Sepak Takraw Federation), qui permet d'institutionnaliser cette activité sportive et de la faire (re)connaître au niveau international. Une quête de reconnaissance toujours en cours mais dont les petits pas sur la scène mondiale commencent à porter leurs fruits…
La principale compétition internationale se déroule actuellement à Bangkok en Thaïlande, elle s’appelle la « King's Cup World Sepak Takraw Championships », mais beaucoup d’autres « rencontres » ont lieu. Car même si la compétition s’est imposée, et elle est aussi la garantie que le jeu ainsi devenu sport se perpétue au delà du seul cercle des initiés ou villageois asiatiques. Pour les pratiquants de takraw, amateurs et même professionnels, la rencontre humaine prime encore sur la guerre du sport. Il suffit d’imaginer ce que peut gagner mensuellement un professionnel malaisien de takraw par rapport à un professionnel français de football… Il y a donc, malgré les apparences, des sports qui ne ressemblent pas à d’autres.
Toujours dans en Thaïlande, des phases de jeu sous un doux soleil de fin d’après-midi. A gauche, dans l’enceinte de la pagode Wat Na Phra That, près de Nakhon Ratchasima ; à droite, dans une cour aménagée près des rapides de Kaeng Khut Khu.
Mais, on s’en doute, tout n’est pas rose non plus dans l’univers acrobatique de la petite balle de rotin tressé ! Le sepak takraw est aujourd’hui menacé de disparaître des campagnes en même temps qu’il se voit tous les jours un peu plus « légitimé » par les joueurs urbains et autres instances sportives officielles… En effet, le bulldozer de la mondialisation affecte également la pratique des sports dits populaires et/ou traditionnels. J’ai pu constater que dans certains villages reculés, surtout en Indonésie, mais aussi dans une moindre mesure en Thaïlande, que cela faisait désormais « ringard » de jouer ce jeu de balle « ancien » et « démodé », pour reprendre les termes de certains jeunes locaux. S’ajoute à ce relatif discrédit de la part de certains jeunes, les politiques sportives mises en place. Car le « foot », nouvel opium sinon religion du peuple, n’intéresse pas que les jeunes mais aussi les dirigeants et autres acteurs économiques et politiques.
Près de Rantepao, en pays Toraja (île de Sulawesi, Indonésie), j’ai de la sorte pu constater l’évolution durant le second semestre de l’année 1998. Rappelez-vous l’été 1998 ? La France championne de monde de football, ça n’arrive pas tous les jours, heu… ni même tous les siècles ! Toujours est-il que le gouverneur local (bupati) en charge du territoire Toraja m’a expliqué le bien-fondé du football sur les habitants et les jeunes en particulier : « avec ce sport, ils s’amusent et font moins de politique, ça calme les gens et en plus tout le monde est content ! ». Certes.
En passant, 1998 est aussi l’année où le général Suharto et la dictature sont tombés, et bien sûr la démocratie ne s’instaure pas du jour au lendemain. Pour ce « préfet » de Tana Toraja, le football peut aussi contribuer à calmer les ardeurs revendicatives des plus pressés ou déterminés… Du coup, des terrains de foot apparaissent dans le paysage et des cours obligatoires de foot dans les écoles : c’était assez étrange de voir d’un seul coup des classes entières de filles se dribler puis se tirer dessus à coup de ballon, le tout sur des terrains de foot tout neufs… Mais le plus inquiétant, avec le fait qu’on se préoccupe plus du dernier look de Beckham que des réformes démocratiques qui tardent à voir le jour, c’est la disparition programmée d’un sport local et populaire, le takraw. Jouer au foot devient « mode » et « classe », continuer à jouer au takraw c’était alors ne pas comprendre ce qui était en train de se passer sur terre : il ne fallait pas rater le train de la modernité ! C’est ce que des habitants convaincus m’ont expliqué : « le takraw c’était bien mais c’était avant, le foot c’est maintenant, c’est forcément mieux et en plus c’est comme à la télé ». Difficile d’argumenter…
Dans ce contexte singulier, pour sauver le soldat Takraw et éviter qu’il ne sombre dans l’oubli, il faudrait impérativement que l’Unesco se charge de la délicate mission… Mais l’honorable institution préfère le beau que le vrai, même s’il s’agit là de sauvegarde véritable encore plus que de préservation patrimoniale. Le takraw est pourtant un très bel exemple de patrimoine immatériel et « vivant ». Ou « survivant ». Mais ce qui est ici vrai dans certains villages ne l’est fort heureusement pas partout. En Indonésie par exemple, les Bugis continuent massivement à pratiquer ce sport ludique, jouer au takraw fait partie de la culture locale. En outre, cela dépend fortement de la volonté politique et de la capacité des habitants à éteindre leur téléviseur, et surtout de ne pas dépendre du message diffusé par le petit écran, comme par tous les écrans d’ailleurs !
En Indonésie, on joue à peu près partout au sepak takraw, surtout à Java, à Sulawesi et à Sumatra. En revanche, à Bali, c’est beaucoup plus rare, ce qui n’empêche pas de s’y essayer de temps en temps, comme ici dans un village du nord de l’île où les joueurs improvisés de cette famille tentent de renvoyer la balle autant que possible, le tout sans détruire les offrandes de riz en train de sécher juste à côté… Toutefois, à Bali, les habitants préfèrent de loin jouer au volley, bien plus populaire !
Des paroles aux actes… Les règles du jeu
Terrain de jeu, caractéristiques de la balle et règles de base
Le terrain et le filet au sepak takraw sont les mêmes que pour le badminton. Traditionnellement, la balle est faite en bambou tressé ou en rotin, de nos jours elle est le plus souvent en plastique (plus solide… elle ne s’effiloche pas et ce n’est donc pas la peine d’en racheter souvent). Plus précisément, en 1982, les balles tressées synthétiques sont lancées sur le marché par une grande marque et, depuis cette date, presque la totalité des joueurs de compétition utilise ces balles synthétiques. Par contre, la balle traditionnelle est toujours utilisée dans les villages. Son diamètre fait entre 40 et 43 cm, son poids fait entre 360 et 400 g.
Deux équipes de trois joueurs vont « s’affronter ». Dans chaque équipe, celui qui se tient au centre s'appelle tekong (c'est aussi le serveur). Les deux autres se placent plus à l'avant et sur les côtés, on les nomme apit kiri et apit kanan. Avant de commencer à jouer, les équipes choisissent soit le côté du terrain, soit d'avoir l'engagement (par tirage au sort). Si le premier service n'est pas bon, l'équipe a un deuxième essai (comme au tennis). Trois touches de balle maximum, sinon le point revient à l'équipe adverse. L'équipe gagnante du premier set, engage en premier, lors du second set, etc. Le système de points : ce sport se joue jusqu'à 15 points ; match en deux sets gagnants ; l'équipe peut demander 5 minutes de pause avant la fin. Voilà pour l’essentiel, maintenant on peut commencer à jouer ! L’essentiel comme on sait n’est pas de gagner mais de participer. Bien plus que le foot, le takraw semble idéal pour mettre en pratique cette philosophie !
Pour aller plus loin : les règles complètes pour les futurs pros !
L'équipe et les joueurs. Chaque équipe (aussi appelée Regu) compte 3 joueurs. Un seul remplaçant est autorisé à rentrer pendant un match. Le joueur placé au centre du terrain qui exécute le coup de pied d'engagement au service est appelé le Tekong. Les deux joueurs placés à gauche et à droite du Tekong sont appelés respectivement ailier gauche et ailier droit.- Entre un point de départ et un point d'arrivée, ce qui importe c'est le but final, donc le point d'arrivée : ce but est la fin, c'est aussi demain et l'avenir. Ailleurs et plus tard. Survivre.
Toss et choix du service. Le tirage au sort (toss) pour le choix entre le service et le terrain pour débuter une partie est joué avec une pièce de monnaie. L'équipe qui gagne le toss choisit le service ou le côté du terrain qu'elle désire pour commencer la partie.
Marquage des points. Une partie de takraw se joue en 2 sets gagnants. Un set est remporté quand une des deux équipes atteint 15 points. Si, lors d'un set, les deux équipes sont à 13-13, celle qui a atteint les 13 points la première, peut décider d'un mini-set en 5 points pour le gain du set. Si elles sont à 14-14, celle qui a atteint les 14 points la première peut décider d'un mini-set en 3 points ; sinon la fin du set sera jouée jusqu'à ce qu'une des deux équipes atteignent 15 points (avec 2 points d'écart). Une équipe refusant l'option d'un mini-set lors du premier set ne pourra pas avoir recours à ce type de confrontation lors du deuxième set en cas d'égalité à 13-13 ou à 14-14. Si chaque équipe gagne un set, un troisième set sera joué. Au cours de ce troisième set, lorsqu'une des deux équipes atteint 8 points, on procède à un changement de côté. Pour le gain de ce troisième set, le même système de marquage de points sera en vigueur que dans les deux premiers.
Positions des joueurs au service. Pendant le service, les
ailiers doivent rester dans leur quart de cercle alors que le
Tekong doit garder un pied à terre à l'intérieur du cercle de
service. Les joueurs du camp adverse peuvent se positionner
librement à la réception. Les positions les plus fréquemment
adoptées sont les suivantes :
- Le Tekong se positionne devant le cercle de service.
- Les ailiers se placent en position latérale à environ 2 m du
Tekong. Une fois l'engagement effectué, les joueurs peuvent se
déplacer librement sur le terrain.
La partie. La partie débute dès que l'un des ailiers lance à la main la balle au Tekong. Celui-ci doit la renvoyer au pied dans le camp adverse. A la réception du service, les adversaires n'ont le droit qu'à 3 touches de balle. Si la balle va dans le filet avant la 3ème touche, elle est toujours en jeu (sauf pendant le service). Chaque équipe peut cependant renvoyer la balle dans le camp adverse sans avoir touché la balle 3 fois. Le même joueur peut utiliser seul les 3 touches de balle. Le jeu ne cesse que lorsque la balle a touché le sol ou qu'une faute a été commise par l'une des 2 équipes. Les joueurs sont autorisés à sortir des limites du terrain pour sauver une balle. Les points ne sont marqués que sur les services : l'équipe qui sert gagne le point si l'un des joueurs adverses fait tomber la balle au sol, la renvoie hors des limites du terrain ou enfreint une des règles du jeu. Si elle commet une faute, elle ne perd pas le point mais l'équipe adverse prend le service.
Le service. Au service, le Tekong doit garder un pied dans le cercle. L'équipe qui gagne le set conserve le service pour le set suivant. Au cours du 3ème set, l'équipe qui atteint le 8ème point sert après le changement de côtés.
Le jeu. Une fois en jeu, la balle peut être touchée par toutes les parties du corps à l'exception des bras (des mains jusqu'en dessous des épaules). La balle ne peut cependant pas être tenue ou portée par le corps. Une faute de main, intentionnelle ou non, est considérée comme une faute. Les touches de balle doivent être franches. La balle doit rebondir et non pas glisser sur le corps des joueurs. Dans les cas les plus fréquents, la balle est jouée par les membres inférieurs et la tête.
Touche de balle simultanée. Lorsqu’ une balle est touchée simultanément par 2 adversaires au-dessus du filet, c'est le joueur de l'équipe en position de réception qui est considéré comme le dernier ayant touché la balle. Après une touche de balle simultanée, l'équipe chez qui la balle retombe bénéficie de 3 nouvelles touches de balle.
Jeu au filet. A l'exception du service, lorsque la balle touche le filet, le jeu peut continuer si 3 touches de balles n'ont pas été effectuées. Si la pression exercée par une balle smashée fait tendre le filet jusqu'à le faire toucher un joueur placé en position avancée, le jeu continue sans qu'aucune faute ne soit sifflée.
Fautes. Les cas de fautes sont les suivants :
- Si
le Tekong ne garde pas un pied dans le cercle de service ou que
son pied touche la ligne du cercle.
- Si le service est effectué alors que les ailiers ne sont pas
dans leur quart de cercle ou qu'ils marchent sur la ligne de
leur quart de cercle.
- Si au service, les autres joueurs se trouvent en dehors des
limites du terrain.
- Si pendant le jeu, un joueur touche le filet ou les poteaux
avec son corps ou ses vêtements.
- Si un joueur touche la balle avec sa main ou son bras.
- Si un joueur porte la balle.
- Si la balle glisse sur le corps d'un joueur.
- Si une équipe effectue plus de 3 touches de balle.
- Si un joueur passe son pied au-dessus du filet afin de contrer
un adversaire.
- Si un joueur touche la balle dans le camp adverse.
- Si la balle touche le plafond ou le mur.
Dans le village karen de Mae Sakua, au nord de la Thaïlande, à deux pas de la frontière birmane, on joue également au sepak takraw, avec ou sans protection armée, mais toujours avec le sourire. La pratique sportive ne fait pas pour autant oublier la rébellion locale, en conflit avec les Thais et plus encore avec les Birmans.
Franck Michel
Pour télécharger cet article en format PDF...