A la fois île et ville, terre d’histoire et de passions, Ambon est surtout la capitale des Moluques, un archipel un peu oublié, perdu entre le sud des Philippines, Sulawesi, les petites îles de la Sonde et Papua. La cité d’Ambon, jadis placée au cœur de la route coloniale et maritime des épices, n’est même plus, depuis déjà une quinzaine d’années, sur la route du tourisme en Indonésie. La cause ? Des émeutes communautaires et des conflits interreligieux, sporadiques mais violents, qui ont miné l’économie de l’île en même temps que le moral des habitants. Ces dernières années pourtant, à quelques rares exceptions près – comme hélas récemment à la mi-mai 2012 – tout le sud de l’archipel (comprenant les deux provinces de Centre et de Sud Moluques) connaît un véritable retour au calme, perceptible depuis 2004 notamment.
L’activité économique et la vie en général reprennent (presque) leur cours normal, et le secteur touristique tente dans ce contexte de renouer avec les affaires. Délicate mission car l’image internationale des Moluques reste fortement entachée du conflit religieux opposant chrétiens et musulmans en 1999-2002 et faisant des milliers de morts. Tourner la page est essentiel et les Moluquois essaient de le faire en dépit des difficultés chroniques. Ici, c’est une brève découverte d’Ambon à laquelle le lecteur sera convié, ce qui lui donnera peut-être l’envie un jour de se plonger dans ses riches cultures de la diversité et bien sûr dans ses eaux claires qui bordent un magnifique océan et un littoral encore préservé, jalonné de plages immaculées… Le malheur des Moluquois peut aussi faire le bonheur du voyageur qui, ici, se retrouve bien seul, loin des hordes touristiques sur d’autres petites îles…
Deux cartes d’Ambon pour situer la capitale et les villages autour ainsi que le relief de l’île
En route donc pour un petit tour d’horizon d’Ambon, de la ville à l’île… Avec environ 340.000 habitants en 2012, la ville d’Ambon est d’abord un port et la capitale régionale des Moluques. Desservie par un aéroport moderne, l’ancienne cité d’Amboine possède aussi une université d’Etat (Universitas Pattimura) et une université d’obédience chrétienne (UKIM) et un établissement universitaire privé protestant. Durant le terrible conflit de 1999-2002, ces deux dernières universités ont été considérablement endommagées. Ambon constitue pour les visiteurs un parfait point d’ancrage pour explorer le reste de l’archipel des Moluques.
A gauche, une sympathique famille protestante à Laha, et à droite, une sympathique famille musulmane à Liang. Et si le tourisme pouvait aussi contribuer à la paix des ménages et pourquoi pas à la paix des peuples ?
Une histoire douloureuse
Sur le plan historique, l’histoire d’Ambon fut, à l’image de tout l’archipel des Moluques, tumultueuse. La région en paie d’ailleurs encore lourdement le prix. Si jusqu’en 1512 Ambon était placée sous la souveraineté du Sultanat de Ternate, dès 1526, Ambon changea de tuteur et fut officiellement colonisé par les Portugais. Ces derniers avaient judicieusement perçu qu’Ambon, bien plus que Ternate, serait plus réceptive à la vague de christianisation annoncée… Le fort, bâti au centre de la ville actuelle, atteste par exemple de cette assez brève présence portugaise. Car, moins d’un siècle après cette première incursion, en 1609, les Portugais sont expulsés par les Hollandais, nouveaux arrivants européens, mieux organisés et plus gourmands de conquêtes et d’épices.
Dès 1599, les Hollandais avaient déjà rebaptisé le fort d’Ambon par le nom de « Victoria ». Un bref intermède britannique au début du XIXe siècle ne perturbera point la souveraineté coloniale, souvent rude et liberticide, exercée par les Hollandais. Cette longue occupation durera jusqu’à l’indépendance en 1945. L’époque hollandaise a également vu l’essor de la ville, devenue le siège de l’administration coloniale, où logeaient notamment le résident et sa famille et les troupes de l’armée. Le Fort Victoria, dont on n’aperçoit aujourd’hui plus qu’un pan de mur qui semble avoir échappé aux tourments de l’histoire, était supposé protéger la ville de tous les assaillants imaginables. En vain.
Au début du XXe siècle, Ambon était une petite ville coloniale, provinciale et typique, où la vie paisible des colons masquait mal le feu qui déjà couvait au sein des populations souvent contraintes aux privations et au travail forcé. Les habitants furent par exemple divisés en deux classes : les « citadins » et les « villageois » (les premiers ayant plus de privilèges que les seconds). La ville comptait aussi, depuis belle lurette d’ailleurs, des habitants arabes, chinois ou européens, commerçants ou négociants principalement. Mais déjà, les Hollandais avaient cyniquement compris que la stratégie du « diviser pour mieux régner » porterait ses fruits dans cette région du monde. Aujourd’hui, malheureusement, ces fruits conservent un goût amer et sont même assez pourris…
En loyal partenaire du politique, le religieux s’invite aussi dans la colonie. La croix a toujours été dans les bagages des colonisateurs, et le sabre et le goupillon font généralement cause commune dès lors qu’il s’agit de dominer un peuple ou un territoire « autre », exotique en principe. Et, pour officialiser ce mariage d’intérêt entre foi et loi, le 22 décembre 1902 la « préfecture apostolique de la Nouvelle Guinée néerlandaise » s’est établie à Ambon, elle deviendra plus tard « le diocèse d’Amboine ». L’évangélisation de tout le centre et sud des Moluques sera efficace…
Durant la Seconde Guerre mondiale, Ambon fut d’abord un site majeur de la marine de guerre hollandaise avant de devenir, en 1942, le quartier général des militaires japonais en poste dans cette région. De ce fait aussi, presque toute l’architecture coloniale a disparu sous les bombardements massifs des Forces Alliées, pendant les années suivantes…
En 1950, Ambon devient pour un court laps de temps une base arrière des rebelles… anti-indonésiens, instrumentalisés par des Hollandais sans doute trop déçus de devoir décamper si vite ! Il reste que cette éphémère « République des Moluques du Sud », même si elle n’a été effective que quelques semaines, va laisser des traces durables dans la conscience collective des Moluquois. Aujourd’hui, nulle part en Indonésie, vous trouverez autant de jeunes qui portent des maillots de l’équipe nationale de football de… la Hollande. Même le néerlandais s’affiche encore ici ou là sur des murs des quartiers chrétiens ou dans des églises… Et lorsqu’une échauffourée éclate, personne – musulmans comme chrétiens – n’oublie de mentionner d’où l’on vient et avec qui on s’est battu dans le passé… Cela ravive certes les rancœurs mais apporte en quelque sorte aussi un cachet bien singulier à l’île d’Ambon. L’ile n’est pas une île come une autre, elle émerge d’un passé douloureux et singulier. Les événements tragiques de 1999-2002, et dans une bien moindre mesure de 2004, de 2011, et tout récemment de mai 2012, s’inscrivent dans cette histoire où l’on s’est toujours confronté et trop rarement rencontré. Mais la fatalité n’est pas de ce monde enchanté du paradis des Mers du Sud, et il faut espérer que la situation en vienne rapidement à se stabiliser et que le slogan national(iste) « l’unité dans la diversité » puisse enfin s’appliquer de plein droit dans cette région, plutôt déshéritée, de l’Indonésie orientale.
A Ambon, des citadins dans l’attente d’un monde meilleur et un gong géant pour la paix dans le monde…
Promenades insulaires
Ambon, de ville en île, promet de belles escapades et rencontres, l’hospitalité de tous les Moluquois est tout simplement chaleureuse pour les étrangers en vadrouille. Il faut dire aussi que les visiteurs ne sont pas très nombreux, ce qui ne fait que rajouter le sentiment – un peu océanique – d’avoir l’île rien que pour soi…
La ville d’Ambon est lovée dans la partie sud d’une longue baie dont les versants sont constitués de jolies collines boisées. Cœur de la province indonésienne de Maluku Tengah (Moluques Centre), la ville est parfaitement située pour rayonner autour d’elle : îles d’Ambon, de Saparua, de Seram, et même de Buru (l’enfer oublié) et de Molana (le paradis préservé). Mais s’y arrêter quelques heures ou quelques jours est également indispensable. Pour mieux comprendre l’univers autochtone et infuser dans le paysage.
Kota Ambon est à l’image de toutes les villes provinciales indonésiennes mais avec sans doute, en sus, un petit charme discret qui la singularise un peu de certaines de ses rivales : diversité de la population, omniprésence de la mer, monuments prestigieux, marché central animé, mais tranquillité globale des lieux seulement perturbée par les « discomobiles » transportée par les bemos qui sillonnent la ville (surtout le soir) ! Flâner de bon matin au marché Mardika, notamment du côté du poisson, est mémorable. Puis trottiner jusqu’au véritable centre ville, admirer la statue de Pattimura, ce héros local très disputé (mémorial Pattimura), puis le modeste vestige de l’ancien fort colonial (Benteng Victoria, il ne subsiste qu’un mur… qui tarde à s’effondrer).
Juste à côté, l’immense gong, symbole de la paix éternelle… Installé récemment comme pour donner un coup de chance, de pousse et de gong, à la paix si difficile à instaurer en ce lieu. Un message valable à Ambon, dans les Moluques, en Indonésie et même dans le monde tout entier (« world peace gong » peut-on lire dessus). Il fallait bien cela pour que les deux confessions religieuses, aux identités affirmées et aux passions à fleur de peau, s’apaisent, travaillent et revivent ensemble, en bonne harmonie… Une bataille de tous les jours vu le passé et l’actualité. Sur fond d’amertume généralisée, la rancune toujours persiste et la vengeance parfois menace, il n’est pas aisé pour l’instant de procéder autrement.
En se promenant dans les villages, et même en ville, on peut encore observer des vestiges de maisons, d’églises ou de mosquées brûlées. Panser ces plaies prendra du temps et il est permis d’espérer que le développement d’un tourisme respectueux de la diversité culturelle et religieuse – et pas seulement de celle de l’environnement, des coraux et des poissons, magnifiques dans ce coin du monde ! – puisse à sa manière contribuer un peu à l’indispensable cicatrisation en cours.
L’accueil réellement charmant des hôtes en étonnera plus d’un : en effet, la gentillesse des habitants viendra largement compenser les temps éventuels d’attente et d’impatience, les doutes du présent et les plaies du passé. Les insulaires, un peu désemparés des conflits interminables et latents qui les accaparent, sont très contents d’accueillir les voyageurs, et s’ils vous croisent, ils se féliciteront de votre choix de destination car, comme ils le disent souvent, « ici, il n’y a pas beaucoup de touristes, et pourtant c’est bien plus beau qu’ailleurs ! ». Voilà qui est dit et qui traduit leur fierté en dépit de tout. Leur optimisme aussi par-dessus tout.
C’est définitivement en partant à la rencontre des habitants d’Ambon que l’on découvrira, avec leur concours, toutes les facettes et les réalités de cette région indonésienne si particulière.
Pattimura à gauche et Tiahahu à droite. Des héros, il en faut, pour maintenir l’Indonésie unie...
Il est évident qu’en plus de la ville et de ses curiosités, les alentours ne sont pas à négliger, et on peut au moins se diriger dans quatre directions pour sortir des sentiers urbains et s’immerger au cœur de la campagne et du littoral ambonais.
L’excursion peut bien commencer à seulement cinq kilomètres de la ville, plus exactement au beau musée Siwalima, sans doute le plus intéressant de tout l’archipel des Moluques. Puis, on peut poursuivre vers le sud-ouest, en explorant la zone allant d’Amahusu jusqu’à Seri, un petit port de pêche, discret et isolé.
Une autre direction est le nord-est. Là, en reliant Passo à Liang, on longe le littoral, on traverse la campagne tout en découvrant certains villages, avec en décor de surface les clous de girofle et autres noix de muscade qui sèchent à même la chaussée. Rien de mieux que de s’arrêter aux villages pour prendre le pouls de la vie locale. Celui notamment de Liang, sympathique bled musulman situé en bout de route, doté d’une magnifique plage, d’une belles mosquée et de noix de muscade à gogo ; celui aussi de Waai, bourgade chrétienne, comme le prouve les fresques et autres écrits muraux qui jalonnent la rue principale. Jésus est ici le compagnon de tous les jours et de tous les combats. Jouxtant le front de mer, il fait bon se promener et discuter avec les habitants, toujours désireux de converser avec le premier venu… d’ailleurs. Car la visite de ce littoral et notamment de ces deux villages résume assez bien l’esprit des Moluques, ses espoirs et ses problèmes.
Une troisième direction pourrait vous conduire dans le nord-est, en longeant la mer, avec de beaux panoramas en perspective, notamment entre les villages d’Alang à l’ouest et Hila au nord. Cette partie de l’île est également intéressante, d’abord pour l’hospitalité des villages musulmans sur la côte nord, et ensuite pour quelques superbes mosquées sans oublier le fort portugais et ensuite hollandais, Benteng Amsterdam, à Hila. C’est le fort le plus beau et le mieux conservé à Ambon, il mérite vraiment le détour pour les férus d’histoire et même les curieux. Surtout qu’à proximité, parmi d’autres édifices religieux, se trouve la modeste mais jolie et plus ancienne mosquée d’Ambon (Wapaue).
La dernière direction, la quatrième, est plus verticale qu’horizontale. Ce sont les hauteurs de Kota Ambon, avec Soya Atas en ligne de mire, et une belle marche à la clé. Une escapade tout en relief avec la promesse au bout de capter un beau coucher de soleil, à la terrasse d’un café bien placé ou au pied de la statue de la courageuse combattante, Martha Christina Tiahahu, morte d’une grève de la faim au XIXe siècle. Dans les deux cas, il s’offrira à vous un beau panorama sur Ambon, sa baie, sa mer, son port, ses voiles, ses toits, ses croix… Comment rêver d’un meilleur endroit et d’un meilleur moment pour méditer. Sur la paix et le reste.
Franck Michel
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